Par Maître Aude BOURUET AUBERTOT, Avocat à la Cour et membre du Think tank du droit immobilier
Rappel du contexte :
La loi du 22 août 2021, dite loi "Climat et Résilience", introduit une modification substantielle
à la notion de logement décent telle que définie à l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989.
À compter du 1er janvier 2025, pour tenir compte de la réforme du DPE, un logement, pour être donné en location à usage de résidence principale, devra respecter un niveau minimal de performance énergétique conformément aux sept classes énergétiques, de A « extrêmement performant » à G « extrêmement peu performant ».
L’article 160 de la loi "Climat et Résilience", prévoit un calendrier de mise en œuvre comme suit :
« Le niveau de performance d'un logement décent est compris, au sens de l'article L. 173-1-1 du code de la construction et de l'habitation :
1° À compter du 1er janvier 2025, entre la classe A et la classe F ;
2° À compter du 1er janvier 2028, entre la classe A et la classe E ;
3° À compter du 1er janvier 2034, entre la classe A et la classe D. »
Concrètement, les logements les plus énergivores devront être retirés progressivement de la location.
Néanmoins, à la lecture du texte de loi, plusieurs interrogations intéressant directement les bailleurs subsistent et notamment :
- Cette obligation s’appliquera-t-elle aux contrats en cours à la date du 1er janvier
2025 ?
- Un bailleur pourra-t-il donner congé à la fin du bail en vue de réaliser les travaux de mise en conformité ?
Absence de dispositions transitoires dans la loi du 22 août 2021
L’article 160 de la loi "Climat et Résilience" prévoit seulement son entrée en vigueur au 1er janvier 2025 mais ne contient aucune disposition transitoire précisant son application aux contrats en cours. En l’absence de telles dispositions, il convient de se référer aux principes généraux du droit transitoire pour déterminer les effets de la loi nouvelle sur les contrats conclus avant son entrée en vigueur.
Principe de survie de la loi ancienne
En matière contractuelle, le principe est celui de la survie de la loi ancienne pour les contrats en cours. Cela signifie que les contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle continuent d’être régis par la loi ancienne pour leurs effets.
Par exception, deux hypothèses permettent une application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours :
• Le législateur prévoit explicitement que la loi s’applique aux contrats en cours.
• Le juge décide de l’application immédiate de la loi nouvelle pour des motifs impérieux d’intérêt général.
En l’espèce, il est peu probable que l’article 160 de la loi "Climat et Résilience" s’applique aux contrats en cours. En effet :
• Lors de la modification de l’article 3 bis du décret n°2002-120 du 30 janvier 2002 par le décret n°2021-19 du 11 janvier 2021, qui imposait une performance énergétique minimale de 450 kWh/m²/an, il a été expressément prévu que cette exigence ne s’appliquerait qu’aux contrats conclus postérieurement à son entrée en vigueur.
• Puisque le renouvellement fait naitre un nouveau contrat (article 1214 du code civil), l’article 160 de la loi "Climat et Résilience" s’appliquera aux baux qui se renouvelleront après son entrée en vigueur. Dès lors, anticiper une application immédiate de la loi risquerait de créer une insécurité juridique importante manifestement inutile puisque la loi s’appliquera naturellement lors du renouvellement du bail.
Cela semble conforme à la volonté du législateur, puisque :
- le ministère de l’écologie, indique sur son site que les nouvelles dispositions ont vocation à s’appliquer aux contrats de location qui seront conclus ou aux contrats qui se renouvelleront après l’entrée en vigueur de la loi
(https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/interdiction-location-gelloyers-
passoires-energetiques).
- une proposition de loi déposée le 7 novembre 2024 (n°546) prévoit que l’obligation de décence énergétique est réputée satisfaite quand le logement a atteint le niveau de performance exigible à la date à laquelle le contrat de location a été conclu, renouvelé ou tacitement reconduit.
Anticiper la mise en conformité du logement
Les propriétaires de logement ne satisfaisant pas aux critères de décence énergétique futurs devront mettre aux normes leur bien s’ils veulent pouvoir continuer à le mettre en location sans risquer une action du locataire.
En effet même s’il s’évince de l’article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 que le fait qu’un logement ne soit pas décent n’est pas en soi de nature à remettre en cause la validité du contrat de bail, il reste qu’en cas de non-respect des critères de performance énergétique, le bailleur manquerait à son obligation de délivrance d’un logement décent et s’exposerait à plusieurs sanctions telles que :
• La conservation par l’organisme payeur de l’allocation logement ;
• la réalisation forcée sous astreinte des travaux de rénovation, la réduction ou la suspension du loyer, des dommages et intérêts au profit du locataire et éventuellement la résiliation du bail à ses torts et griefs.
La réalisation des travaux d’amélioration de la performance énergétique et de mise aux normes de décence
L’article 7 e) de la loi du 6 juillet 1989 prévoit expressément ce cas de figure et le locataire est d’obligé de laisser l’accès au bien loué pour la réalisation de ces travaux. Le bailleur est quant à lui obligé de respecter la procédure prévue par ce même texte, à savoir :
• Information Préalable du Locataire
Avant de commencer les travaux, le bailleur doit informer le locataire de la nature et des modalités d'exécution des travaux. Cette notification doit être remise en main propre ou envoyée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception
• Restrictions de temps
Les travaux ne peuvent être réalisés les samedis, dimanches et jours fériés sans l'accord exprès du locataire
• Réduction du loyer
Si les travaux durent plus de vingt et un jours, le locataire peut obtenir une réduction du loyer proportionnelle au temps et à la partie du logement dont il a été privé
Ainsi, des bailleurs pourraient être tentés de donner un congé pour réaliser les travaux de mise en conformité
La possibilité d’un congé pour mise en conformité du bien loué
Aux termes de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, outre le congé pour vente ou pour reprise, le bailleur peut donner congé pour motif légitime et sérieux.
Le cas des travaux pour mise en conformité avec les critères du logement décent n’étant pas expressément prévu, il convient de se rapporter aux conditions développées par la jurisprudence quant à la validité d’un congé pour travaux, à savoir :
i) L’intention du bailleur de faire réaliser les travaux doit être réelle ;
ii) Les travaux doivent être utiles ou nécessaires à l’immeuble ;
iii) Ils doivent nécessiter pour leur réalisation le départ du locataire ;
iv) Ils ne doivent pas présenter un caractère frauduleux.
C’est évidemment le point iii) qu’il sera important de déterminer à l’avance pour le bailleur.
Étant précisé « qu’ils ne sauraient se limiter pour ces motifs à des travaux soit localisés soit d’ampleur générale ou partielle pour lesquels seule une absence temporaire du locataire suffirait à les mener sans encombre » (Paris, Pôle 4 - chambre 3, 2 octobre 2020, n° 20/03800).
Les difficultés liées au logement en copropriété
La mise en conformité des logements situés dans un immeuble soumis au statut de la copropriété peut rencontrer des difficultés particulières. En effet, cette mise en conformité peut nécessiter que les travaux portent sur les parties communes. En outre, la copropriété peut être soumise à l’obligation d’adopter un plan pluriannuel de travaux qui nécessiterait d’être actualisé pour prendre en compte ces travaux.
Or, ces deux cas de figure ne sont pas pris en compte par la loi « Climat et Résilience », alors qu’il y aurait actuellement 250 000 logements classés G en copropriété sur le marché.
Pour pallier ces difficultés, la proposition de loi déposée le 7 novembre 2024 prévoit dans son article 1er que l’obligation de décence énergétique est réputée satisfaite quand :
- les travaux devant permettre l’atteinte du niveau de performance requis s’étant révélés impossibles pour des raisons techniques attestées par un homme de l’art ou ayant été refusés par une décision administrative ou par une décision du syndicat des copropriétaires, le propriétaire peut démontrer qu’il a réalisé tous les travaux de mise en conformité et d’amélioration énergétique possibles au regard de ces contraintes ;
- le logement est situé dans un immeuble relevant du statut de la copropriété et le syndicat des copropriétaires a conclu un contrat de maîtrise d’oeuvre reposant sur un audit énergétique et portant sur un projet de rénovation de nature à permettre le respect du niveau de performance exigible sous réserve que la délibération de l’assemblée générale des copropriétaires ait fixé un délai raisonnable pour leur réalisation.
Cette proposition a reçu un avis favorable en commission le 3 décembre 2024, mais, à ce jour, elle n’a pas encore été inscrite à l’ordre du jour en vue de son examen en séance publique. Elle ne sera vraisemblablement pas adoptée avant le 1er janvier 2025.
En conclusion si la validité des baux en cours ne sera pas remise en question à partir du 1er janvier 2025 pour les logements classés G, les bailleurs devront être particulièrement vigilants et anticiper le renouvellement du bail afin de mettre leur logement en conformité avec les exigences nouvelles de performance énergétique. Ils devront prévoir précisément la nature, l’ampleur et la durée des travaux afin de déterminer s’ils justifient un congé. Dans le cas contraire, ces travaux devront être réalisés avant l’expiration du bail.