Par Maître Aude BOURUET AUBERTOT
Avocat à la Cour et membre
du Think tank du droit immobilier
Un prix de vente supérieur au prix du marché n’est pas nécessairement frauduleux
La décision rendue par le Tribunal judiciaire de Paris le 24 juillet 2025 vient rappeler qu’un propriétaire bailleur conserve la liberté de déterminer le prix de vente de son bien, même lorsque ce prix est supérieur à l’estimation du marché, dès lors que cette différence n’atteint pas un niveau manifestement excessif de nature à caractériser une fraude.
En l’espèce, le bailleur avait délivré un congé pour vendre à son locataire d’un logement soumis à la loi du 6 juillet 1989, en mentionnant un prix de vente environ 20 % supérieur au prix du marché. Le locataire, estimant ce prix volontairement surévalué et arguant que le bailleur n’avait entrepris aucune démarche concrète de vente (ni mandat d’agence, ni publication d’annonce), contestait la validité du congé, le considérant frauduleux.
Le Tribunal rejette les prétentions du locataire en soulignant que le propriétaire d’un bien immobilier reste libre de tenter de le vendre au meilleur prix. Une majoration de 20 % par rapport au marché, dans un contexte où l’évaluation d’un bien immobilier demeure par nature subjective, ne saurait suffire à démontrer une intention frauduleuse.
En d’autres termes, le simple écart de prix ne suffit pas à vicier le congé, sauf à démontrer une volonté manifeste d’empêcher l’exercice du droit de préemption ou de contourner les dispositions protectrices du locataire.
L’absence de démarches de commercialisation ne suffit pas à elle seule à caractériser la fraude
Le Tribunal ajoute que l’absence de démarches de commercialisation (mandat, annonces, etc.) ne permet pas davantage de caractériser la fraude, le bailleur n’étant pas tenu d’engager de telles démarches tant que le logement n’a pas été libéré. En effet, tant que le bien est occupé, toute vente effective suppose la restitution des lieux, ce qui rend inutile toute initiative prématurée de mise en vente.
Une décision équilibrée au profit de la sécurité juridique des bailleurs
Cette décision s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle pragmatique, qui évite de faire peser sur le bailleur une suspicion systématique lorsqu’il fixe un prix ambitieux.
Elle rappelle que la fraude ne se présume pas et que la contestation d’un congé pour vendre doit reposer sur des éléments concrets révélant une intention dolosive — par exemple, un prix manifestement déraisonnable, ou des éléments prouvant que le bailleur n’a jamais eu l’intention de vendre.
En consacrant la liberté du bailleur dans la fixation du prix, le Tribunal judiciaire de Paris réaffirme un principe fondamental : la protection du locataire ne doit pas se transformer en contrainte injustifiée pesant sur le droit de propriété.
Ainsi, cette décision contribue à sécuriser la pratique du congé pour vendre, en rappelant que le juge ne saurait se substituer au marché pour fixer le “juste prix” d’un bien.
RECOMMANDATIONS À NOS ADHERENTS
Le prix de vente pour l’exercice du droit de préemption du locataire peut être supérieur au prix du marché dès lors que l’écart n’est pas excessif.
Il convient cependant de rester prudent dans la fixation du prix de vente et de veiller à justifier celui-ci au regard des caractéristiques du bien vendu et des prix pratiqués dans le voisinage pour des logements comparables.