Par Maître Bernard CANCIANI, Avocat à la Cour et membredu Think tank du droit immobilier
Une entreprise de fabrication de matériaux, liée par à un bail commercial au propriétaire du terrain sur lequel elle était installée, a contesté le fait d'avoir été privée de la possibilité de préempter ce terrain au moment de sa vente.
Le bailleur avait en effet considéré que cette entreprise faisait des locaux un usage industriel et que, dans ces conditions, cette dernière n'était pas titulaire du droit de préemption prévu par les dispositions de l'article L 145-46-1 du Code de commerce dès lors qu'il ne s'applique qu'aux locaux à usage commercial ou artisanal, à l'exclusion des locaux à usage industriel ce qui résulte clairement des travaux préparatoires de la loi Pinel du 18 juin 2014, deux amendements ayant exclus les locaux à usage industriel du champ du droit de préemption.
L'entreprise locataire avait assigné sa bailleresse en annulation de la vente et en indemnisation de son préjudice.
La Cour d'appel avait rejeté ses demandes au motif, d'une part, que son activité était la fabrication de matériaux qui était de nature industrielle en ce qu'elle consistait en la production de biens matériels par la transformation et la mise en œuvre de matières premières et, d'autre part, qu'elle ne prouvait pas qu'elle exerçait parallèlement une activité de négoce.
L'entreprise locataire avait, quant à elle, soutenu qu'elle exerçait une activité commerciale dans les locaux qui résultait du fait qu'elle achetait des matières premières qu'elle revendait après les avoir mises en œuvre et travaillées et qu'il s'agissait là d'une activité de négoce.
Elle opposait son activité à l'activité industrielle qui, selon elle, est assise sur la mécanisation et l'automatisation de la chaîne de production et ajoutait qu'elle ne faisait pas de fabrication en gros mais sur commande et que son activité de négoce représentait plus du tiers de son chiffre d'affaires.
L'entreprise locataire a saisi la Cour de cassation qui a rappelé tout d'abord qu'elle n'avait quant à elle jamais eu l'occasion de préciser ce qu'elle entendait par usage industriel.
Elle l'a fait pour la première fois aux termes de cet arrêt et c'est en cela qu'il est intéressant même si la Cour de cassation s'en est tenue à adopter en tous points la définition du Conseil d'Etat, la trouvant à son goût.
Le Conseil d'Etat a jugé, en effet, en matière fiscale, qu'ont un caractère industriel les entreprises exerçant une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant.
La Cour de cassation a repris à son compte mot pour mot cette définition du juge administratif en précisant :
« Dès lors, au sens de l'article L. 145-46-1 du code de commerce, doit être considéré comme à usage industriel tout local principalement affecté à l'exercice d'une activité qui concourt directement à la fabrication ou la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant. »
Elle a retenu que la Cour d'appel avait écarté l'activité industrielle en s'appuyant sur ces critères et par conséquent elle a rejeté le pourvoi.
La Cour de cassation aurait pu sans doute faire preuve de plus de créativité dans la définition de l'activité industrielle et ne pas s'en tenir à la définition (peut-être par facilité) du juge administratif, en matière fiscale qui plus est.
Mais, force est de retenir que désormais nous avons connaissance de sa « propre » définition.
Lien vers le texte :
⇒ Cour de cassation, 3ème Chambre civile, 29 juin 2023 ( n°22-16cccccccccccccccccccccccccccc.034)